Découverte

Interview : All Walls Must Fall

Ca fait un petit moment qu’on les suit et qu’on les apprécie, ça nous fait donc doublement plaisir de les recevoir : les Allemands de inbetweengames viennent de financer avec succès leur tactical très sombre All Walls Must Fall qui parle de guerre froide qui n’aurait jamais terminé et d’un futur proche pas très réjouissant. Dans le long entretien ci-dessous que nous a accordé le très sympathique designer de la bande : Jan David Hassel, il nous parle de leurs galères lorsqu’ils travaillaient encore chez YAGER mais aussi de leur processus créatif et ce qui les a amenés à développer un jeu indépendant aussi original.  Si vous souhaitez en savoir plus sur All Walls Must Fall, rendez-vous sur le site officiel.

Bonjour Jan David. Vous avez récemment financé votre jeu sur Kickstarter à hauteur de 200 % de son objectif principal. Comment vous sentez-vous ?

Salut Thomas et merci de nous recevoir ! Nous sommes très heureux de constater qu’il y a un public qui est intéressé par le jeu et qui est prêt à le soutenir pour le rendre aussi bon qu’il puisse être. Tout va très vite et nous sommes déjà en train de préparer ce qui vient après : la planification, nos mises à jour Kickstarter, essayer de calculer exactement comment et quand envoyer les récompenses et ce genre de chose. Mais l’appui des joueurs a été vraiment super. Je ne pense pas que nous ayons encore pleinement réalisé tout ceci, mais c’est vraiment génial.

Peux-tu nous raconter la genèse de All Walls Must Fall ?

Tout a commencé avec Dead Island 2 dont le développement a été retiré de notre équipe du temps de YAGER. Nous étions toujours employés là-bas et à l’oeuvre sur Dead Island 2 depuis un peu plus de deux ans et demi. Nous nous étions investi cœurs et âmes dans ce projet, ce fut donc un coup dur pour nous. L’entreprise responsable du projet a fait faillite et nous savions que nous allions être les suivants. Mais après 4 années passées à perdre projet après projet sous le couperet d’un éditeur, nous avons décidé que quelque chose devait changer. Ainsi, au lieu de chercher du travail dans l’industrie du AAA nous avons décidé de continuer notre histoire en tant qu’indépendants. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire ainsi avant que nous sautions le pas, nous avons voulu voir si nous pourrions au moins réaliser des petits jeux avec une équipe réduite.

Nous avons donc participé à la game jam Ludum Dare et avons créé un jeu appelé « Le Mammouth : une Peinture Rupestre » en trois jours seulement. C’était une petite expérience narrative de 5 minutes qui se déroulait sur une peinture rupestre dans une grotte. Nous avons essayé d’exprimer ce que c’était pour nous de perdre quelque chose que l’on aime tout en étant incapable de faire quoi que ce soit pour le récupérer. La réception du public a vraiment été bonne pour quelque chose de si petit que ce mini-jeu, nous avons donc jugé qu’il y avait un avenir pour nous en tant qu’indépendants. Nous ne pouvions juste pas revenir en arrière.

Nous avons donc créé notre propre petite société inbetweengames et avons commencé à travailler sur des concepts que nous aurions peut-être envie de voir se transformer en jeux complets. Nous avons eu beaucoup d’idées fondées sur le genre de jeux que nous avons toujours voulu faire. En fin de compte All Walls Must Fall, même si nous l’appelions encore « Projekt Disco » à l’époque, a été le grand gagnant que nous avons choisi pour notre premier titre commercial. L’inspiration est venue de la ville où nous vivons et des jeux que nous admirons comme XCOM, Syndicate et de nouveaux titres indépendants, ainsi que toute une série de films de science-fiction, de voyage dans le temps et le genre tech-noir.

Nous avons donc commencé à itérer des concepts, à prototyper et brainstormer des idées autour d’éléments que nous avons aimé dans toutes ces oeuvres. Mais ce n’est qu’une fois que nous nous sommes rendu compte que ce que nous faisions était une histoire assez sombre que tout a vraiment commencé à se mettre en place. A ce moment-là, nous étions en mesure d’obtenir des subventions du Medienboard Berlin Brandenburg et d’Epic Games, ce qui nous a aidé à attaquer le développement du jeu jusqu’à aujourd’hui et à lancer la campagne Kickstarter. Notre aventure a été intéressante même si elle a été à certains moments difficile, mais nous sommes vraiment heureux lorsque nous regardons notre jeu et nous sommes fiers d’avoir réussi a embarquer une communauté aussi enthousiaste dans notre voyage.

C’est un projet assez différent de ce que vous avez tous les quatre réalisé auparavant. Quel était le principal défi à surmonter au début ?

Ah ça c’est une question difficile. Nous avons travaillé d’arrache-pied pour résoudre des challenges sur le plan conceptuel, au niveau du design, du rendu artistique et de la technique. Mais je pense que tous ces problèmes sont exactement le genre de chose pour lesquelles nous aimons notre job. Ce qui a été plutôt positif en fait. Je crois que pour nous le plus grand défi a été de changer notre approche et notre perspective de travail, de passer d’un système rigoureusement organisé de 150 personnes dans une équipe AAA à une forme bien plus libre, autoresponsable et qui comprend maintenant un nombre très réduit de développeurs. Nous ne sommes pas encore habitués à toute cette liberté de mouvement et cette responsabilité que nous avons. C’est passionnant de voir ce que ce cette souplesse nous permet de faire, mais aussi les nouvelles exigences qu’elle implique.

Parles-nous du design original du jeu, un mélange entre 2D et 3D avec un système d’éclairage très original.

Je pense que le look du jeu est le résultat de nos compétences individuelles rassemblées en équipe couplé avec le moteur que nous exploitons. Nous utilisons l’Unreal Engine depuis très longtemps, avec une expérience cumulée de plus de 20 ans et des titres sortis sur les consoles de génération précédente. Nous savons donc comment faire ce que nous faisons. En même temps nous ne sommes pas experts en tout. Notre artiste Rafal par exemple est un artiste 2D très talentueux et a été responsable de l’interface utilisateur, des effets visuels, de l’identité de la marque, etc. sur les jeux sur lesquels nous avons travaillé auparavant. En tant que technical artist, j’ai fait certains environnements sur Spec Ops: The Line. Nous savons donc travailler la 2D et nous avons également une expérience dans la 3D low poly. Enfin nous savons comment insuffler le tout dans le moteur que nous utilisons.

Nous voulions aussi garder une vision artistique similaire à ce que nous avions sur « Le Mammouth » avec un style reconnaissable. Nous avons opté pour un look « affiche de propagande qui prend vie » cette fois-ci, c’est de là que viennent les proportions, les angles inclinés et les éclairages assez riches du jeu. Le rendu est un peu étrange et très old-school, mais nous pensons que c’est une bonne chose et j’espère qu’il pourra donner au titre des qualités intemporelles.

Malgré ses racines tactiques, le jeu met l’accent sur de nombreuses choses. Comment vous assurez-vous ne de pas partir dans toutes les directions pendant le développement ?

Nous avons toujours voulu faire une simulation sandbox dans une boite de nuit et que vous jouiez un agent secret en mission dans cet endroit. Mais nous avions initialement juste prototypé les aspects combat et piratage du jeu. Puis, lors des premiers playtests, nous nous sommes rendu compte que nous ne cherchions pas à faire un simulateur de meurtre. Nous savions donc qu’il nous fallait ajouter plus d’approches possibles quant à la façon de résoudre les conflits et d’interagir avec ce bac à sable. Par chance, grâce à notre base de prototypes des mécaniques de combat, nous avons aussi découvert qu’en raison de la façon dont nous manipulions l’espace temps nous avions en fait mis en place le voyage dans le temps dans le jeu.

Nous sommes donc tous allés dans cette direction et cela nous a également permis de justifier l’ensemble de l’histoire de All Walls Must Fall. L’aspect voyage dans le temps permet aussi d’être en mesure de se balader dans les quatre dimensions et d’ajouter également de nouvelles caractéristiques au jeu comme la manière de contourner et surmonter les obstacles, ce qui a été vraiment cool. Dans l’ensemble, nous développons notre projet de manière très itérative où nous sommes constamment en train d’évaluer ce que nous avons et d’essayer de résoudre les problèmes les plus importants, un à la fois. C’est un processus très dynamique et c’est aussi pourquoi nous avons besoin de plus de feedback des joueurs en ce moment. D’un autre côté, cette méthode de travail permet de laisser plus de place au hasard, de découvrir de nouvelles choses et de changer ou couper ce qui ne fonctionne pas. Toute idée originale est bienvenue et peut être un point de départ.

J’ai entendu dire que vous aviez passé un certain temps dans les boîtes de nuit de Berlin pour étudier la musique pour le jeu. Peux-tu nous en dire plus ?

Lorsque nous étions dans les premières phases de conception du jeu, nous avons essayé de nous imprégner de toute la musique, du temps, de l’espace et de l’ensemble de la culture clubbing de Berlin que nous voulions intégrer et représenter. Nous avons ainsi écouté beaucoup de musique électronique, créé des tonnes de listes de lecture et on a vraiment essayé de s’instruire sur la façon dont tout cela fonctionne et d’où cette ambiance si singulière provient. Alors évidemment, puisque nous vivons à Berlin, cela inclut également d’aller squatter certaines boîtes de nuit ici, comme le Berghain, Suicide Circus et d’autres. Beaucoup de ces endroits n’autorisent pas la prise de photographies ou la vidéo alors il faut s’y déplacer afin de savoir vraiment ce qui se passe là-bas. On ressent la musique très différemment lorsqu’on est dans le lieu réel où elle est jouée : l’énorme basse, la température élevée, la danse. C’est vraiment une expérience qui englobe tous les sens. Ainsi, après en avoir eu un bon aperçu, nous avons commencé à réfléchir à la meilleure façon de transporter tout cet univers dans un jeu vidéo et cela a largement façonné notre approche de la musique, du look et même du gameplay du jeu.

D’une certaine façon, All Walls Must Fall aurait pu être un jeu de plateau, vous ne pensez pas ?

Nous avons vraiment regardé du côté des jeux de plateau et on a griffonné quelques prototypes sur du papier qui auraient pu avoir été transformés en jeux de plateau même si nous n’avons jamais vraiment bricolé quelque chose de jouable. Nous nous sommes également penchés sur quelques jeux comme Mansions of Madness ou Descent pour des choses comme l’enchainement d’une mission et la structure des salles. Mais je pense que si nous étions allés jusqu’au bout avec ces prototypes, ils ne seraient probablement pas aussi évolués en termes de mécaniques par rapport à ce que nous avons dans le jeu maintenant.

À mon avis, à un moment donné, vous avez besoin de décider le médium pour lequel votre jeu est vraiment fait et puis aller jusqu’au bout dans cette voie. Si vous faites un jeu de plateau, alors vous devez utiliser toutes les qualités du genre pour offrir le meilleur de ce que vous pouvez. Mais c’est la même chose pour les jeux vidéo ! Je pense donc que la structure synesthetique et les mécaniques de combat où tout se passe sur le tempo de la musique sont des choses qui n’auraient pas vraiment pu être implémentées dans un jeu de société. Outre l’aspect esthétique évident, c’est juste très difficile de simuler l’ambiance d’une douzaine d’agents secrets, des projectiles de leurs armes et aussi des centaines de clubbeurs via ce biais. Il y a bien quelques RPGs papier comme GURPS qui vont jusqu’à ce niveau de granularité, mais pas sur la même échelle que ce qu’on fait ou avec le même impact esthétique. Je pense que c’est uniquement possible dans un jeu vidéo et nous avons encore beaucoup à creuser ici aussi. Mais peut-être qu’à un certain point, nous pourrions faire une version simplifiée de nos combats et faire une adaptation en jeu de plateau. En tout cas j’adorerais !

Une dernière chose à rajouter ?

Merci beaucoup pour ces questions et aussi pour le soutien de tout le monde sur Kickstarter ! La campagne s’est super bien déroulée et nous avons hâte de passer à la vitesse supérieure avec vous ! Rendez-vous à Berlin 2089 parce qu’en fin de compte, tous les murs doivent tomber (All Walls Must Fall).

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