Découverte

Interview : Ghost of a Tale

Il y a quelques années de cela je rencontrais dans les allées de la Gamescom 2014 un certain Lionel Gallat, unique représentant de SeithCG, un tout nouvel acteur du jeu vidéo français. Son projet solo un peu fou, un jeu d’infiltration dans lequel vous joueriez une petite souris : Tilo perdue dans des prisons glauques tenues par des geôliers muridés aux oreilles pointues ma foi fort peu recommandables. Le titre était auparavant passé par la case financement participatif et avait complété avec succès sa campagne Indiegogo. J’avais gardé de cette première prise en main avec le jeu de très bons souvenirs et ce qui m’avait frappé à l’époque c’était la grande qualité des modèles et des animations. Rien d’étonnant à cela, son créateur étant passé par le film d’animation avant d’aller voguer en solo au pays du jeu vidéo. Deux ans plus tard, voilà que son Ghost of a Tale sort enfin en accès anticipé sur PC via Steam et GOG et nous aurons même droit à une version Xbox One un peu plus tard. L’occasion pour nous de faire le bilan sur le développement du jeu avec son géniteur.

Bonjour Lionel. Première question, comment te sens-tu maintenant que ton jeu est enfin disponible en accès anticipé ?

Bonjour Thomas. Rassuré a présent quant au fait qu’il y a réellement des joueurs intéresses par le jeu!

Peux-tu nous raconter la genèse de Ghost of a Tale et son petit héros Tilo. Comment son univers t’est-il apparu à l’esprit ?

Je pensais déjà a l’univers de Ghost of a Tale quand je travaillais à Dreamworks. Mais j’ai attendu jusqu’a ce que les moteurs 3D de jeux vidéo arrivent a leur niveau actuel de qualité visuelle avant de me lancer dans la création a proprement parler de Ghost of a Tale. Cela correspondait également à un désir de retourner travailler sur un petit projet où je pourrais décider de tout, après avoir passé tant d’années à travailler dans de grands studios.

L’univers animalier de Ghost of a Tale m’attire parce qu’il est proche des fables et contes de fées et j’ai été influencé depuis tout petit par des films d’animation dont des animaux sont les héros. C’était aussi l’occasion de faire un jeu ou il ne serait pas question de massacrer des ennemis à tour de bras. Quelque chose qui ferait appel au sens du merveilleux chez le joueur, plutôt que de trop se reposer sur la violence. Ceci dit je n’ai aucun problème avec les jeux violents (je pense qu’il ne devrait y a voir aucune censure dans l’imaginaire).

Quels ont été les challenges les plus compliqués à surmonter en terme de développement jusqu’à présent ?

J’ai dû en gros apprendre un nouveau métier (la programmation) pour arriver à coder le jeu et cela m’a pris beaucoup de temps et de concentration; je suis artiste de formation (même si j’ai toujours été attiré par la technologie et les jeux vidéo) donc c’était un défi de taille pour moi. Et puis il y avait le fait d’utiliser un moteur 3D qui n’avait pas forcement (à l’époque tout du moins) la réputation de produire de belles images : Unity. Naviguer entre les écueils techniques et faire avec les limitations (les miennes et celles du moteur) continue d’être difficile, mais c’est aussi très gratifiant.

Bien qu’il ait été initié en solo, Ghost of a Tale est désormais le fruit du travail de 5 personnes. Comment as-tu choisi tes différents collaborateurs ?

En effet, au cours du projet j’ai été rejoint par Paul Gardner (écrivain), Cyrille Paulhiac (programmeur), Jeremiah Pena (compositeur) et Nicolas Titeux (bruitages). J’ai rencontré Paul et Cyrille il y a 3 ans pendant la campagne de financement participatif (ils étaient d’ailleurs des donateurs). Je dois dire que leur rôle sur la création de Ghost of a Tale est absolument indispensable et sans leur passion et leur confiance, le projet ne serait jamais arrivé là où il en est aujourd’hui. Jeremiah quant a lui m’avait contacté un peu avant la campagne et a composé la musique de la première bande-annonce. Ce qui a aussitôt conforté mon sentiment d’avoir rencontré là quelqu’un d’un rare talent. Et j’ai eu la chance d’être contacté par Nicolas il n’y a pas très longtemps; c’est quelqu’un d’extrêmement méticuleux dont l’attention au détail est remarquable.

Détail amusant : je n’ai jamais rencontre Nicolas et Jeremiah en personne et il a fallu attendre un an avant que Paul, Cyrille et moi nous rencontrions pour la première fois a l’occasion de la Gamescom 2014.

L’early access commence dans une prison. La campagne Indiegogo présentait un scénario introduit un peu différemment (l’arrivée sur l’ile de Periclave). Pourquoi ces changements ?

La réponse est simple: je ne me sentais pas capable de rendre justice au jeu dans un tel environnement et je ne voulais pas que le projet succombe à son ambition. Je voulais faire quelque chose de qualité et j’ai réalisé assez vite que je ne pourrais pas y arriver si le scope du jeu restait tel quel. Il y avait aussi un désir de commencer l’histoire par le début; de présenter les personnages, de comprendre pourquoi Tilo s’embarquait dans une telle aventure. Commencer directement sur l’ile aurait été dommage d’un point de vue narratif.

Si les rentrées financières nous le permettent alors nous irons sur Periclave dans le prochain jeu, c’est promis ! En attendant, la version finale de Ghost of a Tale permettra tout de même au joueur de retrouver certains paysages proches de ceux présents dans la toute première bande-annonce.

Les films d’animation font la part belle à la musique et aux envolées lors des scènes clés. Qu’en est-il de Ghost of a Tale et sa BO composée par Jeremiah Pena ?

Des le début je ne voulais pas que le jeu soit juste un « jeu d’animateur », ou les cinématiques et la mise en scène auraient la part belle. Je préfère essayer de créer un monde à peu près crédible, avec un sens de présence plutôt que d’essayer de faire un film d’animation qui ne dirait pas son nom. Jeremiah a créé un thème propre à chaque personnage qui peut être entendu pendant les dialogues, et c’est exactement ce dont le jeu a besoin; non pas d’un simple surlignage sonore, mais d’un rôle de soutien à l’imagination du joueur. En d’autres termes les musiques de Jeremiah deviennent littéralement la voix des personnages.

La critique salue la grande qualité de l’early access de Ghost of a Tale. Quel est ton regard personnel sur cette nouvelle méthode de diffusion du jeu vidéo ?

C’est une grande satisfaction; en tant que joueur je suis assez difficile et je n’aime pas qu’on me prenne pour un idiot. J’ai donc fait en sorte que malgré les bugs qui ne manqueront pas d’être découverts à une telle échelle de diffusion le joueur se sente malgré tout respecté et invité a prendre part dans cette aventure. Pour nous, concrètement, l’early access représente un moyen de s’autofinancer sans avoir à s’embarquer dans une campagne de financement participatif qui demande beaucoup de temps (et d’argent) et freinerait le développement du jeu proprement dit. Ghost of a Tale en est à un stade qui se prête bien a l’early access car il est suffisamment solide et surtout permet aux joueurs de nous faire des retours précieux tant au niveau des suggestions que des bug-fixes. Je pense que si certains studios peuvent introduire leurs jeux en early access avec un niveau de qualité suffisant (ce qui reste malheureusement encore rare) alors il ne faut pas hésiter à utiliser ce moyen de diffusion.

Si tu devais faire un bilan sur la campagne Indiegogo du jeu, qu’en serait-il ? Quid du lien et des responsabilités envers les donateurs ?

C’était une expérience intense, mais très gratifiante. Des le départ, j’ai insisté sur le fait que le jeu ne serait pas « Dark Souls/Skyrim avec des souris » (tant au niveau de l’échelle que du gameplay). J’ai aussi été extrêmement clair par rapport à ma totale inexpérience quant à la création d’un jeu vidéo. Je n’ai jamais essayé de maquiller quoi que ce soit ou promettre des choses irréalistes. Certaines personnes m’ont parfois reproché ma franchise, craignant qu’elle fasse fuir les donateurs. Mais il faut regarder les choses en face; quand on s’adresse ainsi à autant de personnes, il faut être responsable. Une campagne de financement participatif n’est pas une campagne politique; à l’arrivée on doit rendre des comptes aux donateurs. Si l’on ne respecte pas ses engagements, on n’est plus digne de confiance. C’est pour cela qu’un Studio comme CD Projekt Red (The Witcher 3) a le succès qu’on connait (outre la qualité de leurs jeux); ils ne prennent pas leurs joueurs pour des imbéciles.

Les campagnes de financement participatif permettent également d’entrer en contact très tôt avec les gens qui deviendront les plus passionnels de votre communauté. Ce qui est une très bonne chose, certains pouvant même devenir vos collaborateurs! :)

Entre animateur CG et animateur dans le jeu vidéo, toi qui connais les deux métiers, que conseillerais-tu à un jeune qui voudrait se lancer dans l’animation ?

Aujourd’hui les talents demandés, d’un point de vue technique sont les mêmes entre films et jeux vidéo. Pour quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’animation je recommanderais tout simplement de faire une école d’animation (je suis passé par Les Gobelins qui est l’une des meilleures) et d’étudier les grands classiques (2D et 3D). Dans cette optique d’apprentissage, je conseillerais de ne pas se cantonner aux jeux vidéo. L’animation de nos jours est visible partout; films, TV, pub, jeux, internet, etc. Il faut réfléchir, étudier, observer et ne pas se contenter de reproduire ce qu’on aime. Au-delà de ça, rien ne vaut l’expérience de travailler sur des longs métrages dans de grands studios. Hollywood est bien sur le meilleur endroit pour apprendre (Pixar, Dreamworks, Disney), mais en France nous avons aussi la chance d’avoir MacGuff à Paris (Moi, Moche et Mechant) qui offre une qualité similaire sans avoir à traverser l’Atlantique.

Une dernière chose à rajouter ?

Je te remercie pour cet entretien. Mon dernier mot sera juste pour dire merci à tous ceux qui, il y a trois ans, ont décidé de donner sa chance à Tilo… :)

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