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Test : Prey

Un jeu Arkane Studios, c’est un peu comme un chocolat chaud un dimanche pluvieux ou une couette en plumes d’autruche en plein hiver, un véritable stimulateur d’endorphine. La branche française avait déjà mis tout le monde d’accord, à part les joueurs PC, fin 2016 avec Dishonored 2, l’un des meilleurs jeux de l’année sans sourciller. Vous vous en doutez si vous avez parcouru mon aperçu de février dernier, Prey était lui aussi dans les meilleures dispositions pour truster les plus hautes marches du podium. Après une vingtaine d’heures à déambuler dans Talos 1, nul besoin de faire durer le suspense plus longtemps : oui on est bien devant un chef-d’oeuvre comme on en voit que trop rarement. Plutôt donc que de transmuter honteusement mon précédent article à la manière d’un mimic je vais prendre ma plume et vous parler de ce rend Prey si génial. Attention, « spoiler alert » comme disent les jeunes !

Prey est un digne représentant de la famille des immersive simulators dans la plus pure tradition des titres initiés par Looking Glass, un genre retravaillé au fil des années par de nombreux studios. On pourrait définir ce genre par des jeux dans lesquels vous avez la liberté d’affronter l’histoire et le monde qui vous entoure sans subir une ligne directrice toute tracée par les développeurs. Pour arriver à ce résultat, il y a des règles à respecter : des mécaniques de jeu fortes qui peuvent s’imbriquer les unes dans les autres pour créer du gameplay émergent et des opportunités inédites, un univers simulé riche, crédible et organique que le joueur peut assimiler et du contenu sous la forme d’histoires dans l’histoire. Aux côtés de ces trois grandes trajectoires, on rajoutera l’élément de tension : omniprésent et indispensable.

Quoi de mieux qu’une bonne petite uchronie pour introduire le jeu. Nous sommes en 2032, à bord de la station spatiale de recherche Talos 1, en orbite autour de la Lune. Fruit du travail conjoint des Américains et russes dans des années 60 vierges de guerre froide et dans lesquelles Kennedy n’aurait pas été assassiné, Talos 1 est aujourd’hui le berceau des avancées technologiques humaines. Dans ce huis clos, le joueur incarne Morgan Yu, le frère (ou la soeur, c’est encore une fois un choix qui se fait en début d’aventure) du gérant des lieux. Suite à un plot twist facile, on va bientôt se rendre compte qu’il a perdu la mémoire et que les humains ne sont pas les seuls pensionnaires de cette boite de conserve. Les chercheurs étudient en effet les pouvoirs des Typhoons, une race extra-terrestre belliqueuse. Quel sera le rôle du joueur dans ce micmac futuriste ?

Le scénario et notre but ultime pourraient être tissés de fil blanc si l’on ne fait que suivre l’histoire principale et pourtant comme dans tout bon immersive simulator, c’est en s’attardant sur les détails qu’on obtiendra toutes les réponses et qu’on pourra se forger un avis sur les agissements des uns et des autres. Et les détails, la station en regorge. Chaque ordinateur, chaque enregistreur, chaque note vous racontera l’histoire d’un des employés de Transtar. En déroulant chaque tranche de vie toujours foutrement bien écrite, on dépile des quêtes annexes toutes passionnantes, aux objectifs variés et incroyablement accrocheurs. On a envie de faire le tour de la station pour avoir le fin mot de l’histoire, quitte à affronter des hordes de Typhoons et on en redemande même !

Et les aliens, parlons-en. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Le jeu ne s’attarde pas sur ces futilités, mais nous les présentera toujours comme des organismes ultras violents et impitoyables. Leur design est assez original et a été étudié pour qu’ils soient effrayants au simple regard. Ce qui les caractérise aussi en tant qu’ennemi est leur comportement totalement imprévisible, ce qui n’arrange pas nos affaires. Enfin et surtout, ils font mal, très mal. Le joueur aura beau avoir mis à jour ses armes et boosté sa jauge de santé au maximum, il ne faudra que quelques coups des plus gros membres de l’espèce pour mettre notre Yu national à terre. La tension est donc palpable et on se surprend à sauvegarder tous les 3 mètres, à sursauter à chaque bruit ou ombre qui vient lécher un mur, de délicieux réflexes musculaires qu’on a appris sur Half-Life ou Bioshock.

Continuons avec les mécaniques imbriquées. Oui Prey est un FPS, mais il ne sera pas question ici de foncer dans le tas en défouraillant dans tous les sens. Les adeptes du pan-pan boom-boom iront plutôt se consoler sur DOOM. D’une la vue FPS lorsqu’elle est utilisée sans artifices et en laissant le contrôle total de l’action au joueur comme ici est avant tout un pont d’or pour faire vivre des sensations au joueur. De deux, les mécaniques de shoot ne représentent qu’une partie de ce que l’on peut faire avec les gadgets à notre disposition. Outre les armes très classiques du jeu, Prey introduit le Gloo Cannon, un éjecteur de mousse expansée qui va au choix ralentir les ennemis ou se coller au mur. C’est surtout la seconde utilisation qui nous intéresse, car elle permet de façonner l’environnement pour créer ainsi des chemins alternatifs et dénicher des objets cachés et de la matière première pour crafter de nouveaux objets à l’aide d’un fabricateur soit dit en passant très simple d’accès et non intrusif. Et ainsi de suite.

Je vous parlais des armes, classiques certes. Mais avec un peu de jugeote, on trouve de nouvelles fonctionnalités à ces objets. L’arbalètière par exemple qui lance des projectiles en mousse pas vraiment efficaces contre les ennemis peut servir à déclencher des interrupteurs à distance pour ouvrir des salles bloquées ou à débusquer les mimics transmutés à quelques mètres de distance. Combinez également les pouvoirs de Typhoons comme le champ de gravité ou l’explosion cinétique avec votre capacité de transformation en petit objet et traversez ainsi des pièces entièrement recouvertes de surfaces électriques en un clin d’oeil. Prey est un laboratoire truffé de ce genre d’opportunités de création d’opportunités, il ne convient qu’à vous de les saisir ou de traverser le jeu sans vous poser de question.

On en vient à parler de la station spatiale, véritable « personnage » à elle toute seule. Le monde admirablement cuisiné par les level designers d’Arkane est immédiatement crédible, car couplé à une histoire elle-même largement documentée, nous en avons parlé plus haut. Au fil des décennies, Talos 1 est devenu un agglomérat de modules qui ont non seulement des identités visuelles propres, mais qui s’emboitent les uns dans les autres quasi naturellement. Après une dizaine d’heures de jeu, on s’est déjà fait un plan de la station dans sa tête et on sait quel tunnel ou coursive relie deux parties entre elles. Ces briques interconnectées sont un grand classique des immersive sims mais Prey va encore plus loin en proposant des phases à l’extérieur en gravité zéro : il nous invite ainsi à découvrir l’envers du décor et pourquoi pas emprunter des raccourcis si vous les débloquez.

Ces séquences sont également l’occasion pour les développeurs de s’amuser à changer les règles de jeu, les ennemis ayant des patterns différents dans l’espace et les objectifs n’étant plus vraiment les mêmes : on ira même jusqu’à faire docker du futur, c’est pour dire… Autre composante avec laquelle il faut apprendre à jongler : les règles plausibles d’une station en orbite autour de la Lune font que le monde qui vous entoure est temporairement obscurci lorsque les rayons du soleil sont masqués par le satellite naturel de la Terre. Arkane ne se contente jamais du minimum syndical et trouve toujours le moyen de se réinventer ici et là, donnant une raison de plus au joueur d’aller faire un tour au beau milieu du vide spatial, au-delà du sas de décompression, le poussant à se dépasser dans un environnement froid et hostile.

Notre petit manuel de l’immersive sim appliqué à Prey touche bientôt à sa fin, mais on ne pouvait pas faire le tour du jeu sans parler de sa musique. Minimaliste, brute de décoffrage et tintée de sons stridents aux moments opportuns, le plus souvent lorsqu’un mimic vous saute à la gorge, la bande originale de Mick Gordon (décidément encore lui !) fait des merveilles et vient sublimer l’ambiance du jeu. Techniquement, même si la version PC tourne relativement bien, on aurait souhaité voir un plus grand soin apporté à certaines textures et on retrouve d’autre part les défauts du CryEngine : problèmes de collision et personnage coincé dans le décor à de rares moments et surtout une chute de FPS inexpliquée dans le module de la centrale électrique. Nul doute par contre que le studio viendra rustiner ce petit couac.

Très bon Obligé !

Prey est une oeuvre qui a tout compris à son genre et valide tous ses codes en toute humilité. La signature de Raphaël Colantonio et ses équipes transpire par tous ses pores : de l'immersive sim de qualité sur fond de huis clos perdu dans l'espace bourrée à craquer d'opportunités de gameplay. Il n'y a pas grand-chose à lui reprocher, le jeu pourrait même, soyons fous être qualifié de System Shock 3 sans rougir tant il impose le respect. Rares sont ces jeux qui m'ont donné envie de m'imprégner de leur univers jusqu'à m'y croire, à observer chaque recoin, à me passionner pour l'histoire du simple employé lambda et à me dépasser dans les situations de combat les plus intenses. Et franchement, en 2017, alors que l'industrie se complait dans la facilité, ça fait un bien fou de ressentir encore autant d'émotion dans un jeu vidéo. Merci Arkane.

Jeu testé sur PC à partir d’une version fournie par l'éditeur. Plus d’informations sur notre politique de tests en suivant ce lien.

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