Découverte

Interview : Super Meat Boy Forever

Les rendez-vous de dernière minute lorsqu’on planifie son séjour dans un salon de jeux vidéo, c’est souvent des opportunités rares de rencontrer des créateurs de génie. Alors lorsque j’ai eu la possibilité de booker un ultime slot de trente minutes dans un planning plus chargé qu’un père-noël un 24 décembre pour m’entretenir avec le programmeur de Super Meat Boy, je n’ai pas hésité une seule seconde ! Me voilà donc par une belle matinée de septembre dans le froid d’un Birmingham à peine éveillé à la rencontre de Tommy Refenes qui avait fait le déplacement jusqu’en Angleterre pour présenter son jeu au public sur le stand Nintendo de l’EGX. Nous avons pu parler ensemble de Forever évidemment mais aussi de design et de marketing du jeu indépendant. Pour plus d’informations sur Super Meat Boy Forever qui devrait pointer le bout de son nez courant 2018, direction le site officiel. NDLR : Merci à Cathy pour la traduction.

Bonjour Tommy, la dernière fois qu’on t’as vu parler au nom de la Team Meat, il était question d’organismes félins génétiquement modifiés et aujourd’hui tu reviens à ton premier amour. Tu peux nous raconter ce qu’il s’est passé pendant tout ce temps ?

(Rires) Et bien il y a pas mal de choses dont je ne peux pas te parler en détail, mais… ah oui je me suis marié ! J’ai aussi essayé de faire quelques trucs que je n’ai pas réussi à finir pour des raisons indépendantes de ma volonté, donc je suis revenu à Meat Boy en début d’année pour commencer à travailler sur Forever et en faire une vraie suite. Et après ce jeu, j’attaque un tout nouveau projet et ça va être sympa !

A propos de Super Meat Boy Forever, tu t’es déjà exprimé sur les suites qui se doivent d’être différentes des originaux. Quelle a été ta première idée folle pour une suite de Super Meat Boy (SMB) avant de t’arrêter sur ce qui allait devenir Super Meat Boy Forever (SMBF) ?

En fait SMBF n’a pas été pensé comme une suite. Ça devait être un jeu mobile, très court, que l’on pouvait juste sortir, et ne plus s’en soucier. On voulait donner aux fans ce qu’ils voulaient. A cette époque ils désiraient ardemment une version smartphone mais avec le marché du mobile, c’est difficile de prévoir et d’anticiper les revenus et tout ça. Et finalement quand on a commencé le développement, on s’est rendu compte que ça valait le coup de ne pas se limiter au mobile, et de faire une vraie suite.

En ce qui concerne la question des suites qui doivent être différentes, je pense vraiment que l’important c’est de ne pas stagner. Refaire sans cesse la même chose, c’est dangereux pour un designer. Ce serait vraiment facile de faire 600 nouveaux niveaux et de l’appeler SMB2, SMB3 etc. Un peu comme Mega Man. J’adore Mega Man et Mega Man 2, Mega Man 3 est pas mal, Mega Man 4 est plutôt bon, et après ça je ne me souviens même plus des jeux. Je sais qu’ils sont bons, j’y ai joué, mais je ne me souviens que des premiers. Les jeux de plateforme sont faciles à faire. Des bons contrôles sont faciles à faire aussi. Forever était une façon de simplifier et voir ce que l’on peut faire avec deux boutons. Ça ne devait pas vraiment être une suite, mais le jeu a fait ses preuves, et ça l’est devenu.

En parlant des contrôles minimalistes, si le jeu était initialement prévu pour mobile, comment vous vous êtes assurés que cette limite au niveau de la manœuvrabilité que vous vous êtes imposé ne décontenance pas les joueurs de SMB ?

Forever marche pour la même raison qui a fait que le premier SMB a marché. C’est un mariage entre le design et les contrôles. Quand on a commencé à travailler sur SMB, j’ai passé 3 mois sur les contrôles. Rien d’autre. Je voulais être sûr que Meat Boy se déplace d’une certaine manière, et cætera. C’est seulement après que l’on a commencé à créer les niveaux.

Pour Forever, on a fait pareil. J’ai façonné les contrôles, jusqu’à ce que le mouvement et les sensations soient comme je le souhaitais, et ensuite on a créé les niveaux pour complémenter ça. Et en faisant ça, tu consolides le jeu. Je n’essaie pas de faire quoi que ce soit que les contrôles (et la façon dont ils représentent le jeu) ne nous autoriseraient pas à faire. Le challenge, c’est que le jeu est créé de la même façon que SMB, mais on a enlevé les sticks et ajouté le plongeon, et les 2 boutons pour que les joueurs puissent se déplacer dans l’air, sans joysticks. En gros, le jeu est créé autour des contrôles, et les niveaux sont créés pour que les contrôles procurent de bonnes sensations. Je suis très à cheval sur ça. Les sensations. Quand on y arrive, on sait que l’on peut avancer.

SMBF présente également un nouvel algorithme complexe qui adapte les niveaux aux capacités des joueurs. Tu peux nous en dire plus ?

Ça sonne plus compliqué que ça l’est ! (rires) La meilleure façon d’expliquer ça, c’est que les niveaux de Forever sont plus longs, parce qu’on a mis bout à bout des niveaux qui font plus ou moins la même taille que ceux du premier SMB, mais ils sont présentés au joueur de manière différente. Si tu penses au premier niveau par exemple, les collines vertes, il est créé à partir de 16 morceaux de niveaux avec chacun leur design et leur décoration, qui sont reliés en fonction de leur difficulté. Pour que les niveaux aient leur propre rythme, que les joueurs ne soient pas confrontés à trop de difficulté d’un coup, on a créé une cadence. Chaque morceau correspond à un chiffre en fonction de sa difficulté, et ensuite on crée une chaine. Un niveau difficile va avoir un morceau de 1, puis 1, 1, 1 puis 2, puis 3, puis à nouveau 1. C’est toujours aléatoire car les morceaux viennent d’une base de données géante de mini niveaux, mais ce n’est pas tout à fait au hasard, pour que ça reste fun.

Tu es sur le stand de Nintendo aujourd’hui, ce qui veut dire beaucoup ! On parle beaucoup de Nintendo qui va faire revenir les jeux indés sur le devant de la scène en 2017. Qu’en penses-tu ?

Je pense que c’est lié à beaucoup de choses. Ils avaient pas mal de manques. La Wii U est une bonne console mais ils ne l’ont pas soutenu assez, et ça a été une sorte d’échec. Elle n’a pas attiré les développeurs de jeux AAA, ni les indés. C’est devenu une machine à Mario Kart (rires). Mais avec la Switch, on a une console pour laquelle c’est assez facile de développer. Je pense que grâce à ça, et en regardant les tendances, ils se sont rendu compte qu’il y avait un potentiel. Ils ont réussi à faire changer la mentalité du Japon sur la manière de présenter la boutique, et ont commencé à soutenir des développeurs qui allaient vers Sony ou Steam, pour ne pas les perdre.

Tout le monde rêve de développer pour Nintendo. On a grandi avec. Ils nous soutiennent beaucoup. Ça n’a pas toujours été le cas, c’est nouveau, depuis la Switch. C’est une console qui attire un grand nombre de joueurs. Ils veulent maintenant des jeux qui attirent aussi beaucoup de joueurs. Pas juste Mario et Zelda. Un peu comme le jeu des Lapins Crétins. Ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas continuer ce qu’ils faisaient avec la Wii. Avec la Switch, ils nous rappellent que c’est avec eux que tout a commencé.

SMB est sorti alors que le développement indépendant n’était pas démocratisé. Aujourd’hui, il y a tellement de jeux qu’il parait presque impossible pour les studios de garder la tête hors de l’eau. Qu’est-ce que tu penses de tout ça ?

Je pense que c’est bizarre. Il y a plein de jeux, mais il y a toujours certains jeux qui ont du succès et qui attirent les joueurs. J’essaie de trouver des noms… désolé, je suis vraiment fatigué ! (rires) Hyper Light Drifter, Hollow Knight. Tous ces jeux ont quelque chose de vraiment important en commun : Ils sont vraiment bons. Ça fait tout. On a tendance à dire qu’il faut plus qu’un bon jeu, et c’est vrai, mais ça reste le plus important. Sur Steam par exemple, il y a plus de jeux qui sont sortis le mois dernier que quand Super Meat Boy est sorti. C’est énorme. Et il y en a probablement seulement 1 ou 2 qui valent le coup…

Donc je ne crois pas vraiment que le monde des indés ait changé. Je pense juste qu’il y a plus de concurrence. Au final, tu dois avoir un bon jeu et tu dois savoir parler de ton jeu pour que les gens aient envie d’y jouer. Tu peux avoir le meilleur jeu du monde, si personne ne le sait, ce sera beaucoup plus dur que quelqu’un le trouve par hasard sur Steam, y joue, et en parle à ses amis. Ça n’a jamais vraiment été viable au temps de SMB, et c’est encore moins le cas maintenant.

Quand SMB est sorti, on en a parlé à tout le monde. On a fait plein d’interviews, de podcasts. J’ai un Tupperware géant rempli de magazines dans lesquels on avait de la visibilité. (Rires) Tout ce qu’on faisait, c’était en parler tout le temps. C’est quelque chose que les indés ont tendance à ne pas faire. Tu dois promouvoir ton jeu, tu dois trouver un moyen de le mette en face des joueurs. Avant, tu le sortais sur Xbox et c’était suffisant. Un peu comme les premières applications iPhone. Elles étaient nulles, mais tout le monde les achetait. J’en ai même fait une, et à chaque fois que quelqu’un l’achetait, j’augmentais le prix. Je suis monté jusqu’à 399 Dollars et les gens l’achetaient. (Rires) Ça ne serait plus possible maintenant.

Jusqu’à 2010, développer sur son temps libre et sortir un jeu, ça pouvait marcher. C’était notre cas quand on a sorti SMB. On n’avait pas d’autre job et on utilisait nos économies, donc en quelque sorte c’était notre boulot. On ne considérait pas vraiment ça comme un business, on essayait juste. Maintenant, il y a toujours des gens qui font comme ça mais il y en a seulement quelques-uns qui arrivent à percer, parce que c’est un business. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a plus de passion, ou que l’on ne fait plus rien de personnel, mais ça veut dire que si tu veux que quelqu’un achète ton jeu, tu dois leur vendre.

Je crois que tu as quelque chose à rajouter sur SMBF, non ?

Humm… oui, ne dites pas que c’est un runner infini. Il y a des niveaux et des chapitres !

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