Switch

Test : Octopath Traveler

En bon chasseur de baleines, Square Enix dispose de techniques redoutable pour faire tomber les joueurs nostalgiques et fortunés dans ses filets. C’est une stratégie déjà bien rodée qui a fait ses preuves dans le milieu du jeu vidéo : on commence tout d’abord par distiller des remasters/remakes 3D douteux des gloires 16bits d’antan, histoire d’affaiblir leur petit coeur, puis on attend qu’ils se lamentent bien pour de leur asséner le coup de grâce avec la sortie d’un titre néo-rétro de seconde zone. Par deux fois, Square a joué à ce petit jeu avec le soporifique I Am Setsuna et son petit frère sans saveur Lost Sphear. On a donc tout d’abord pris l’annonce d’Octopath Traveler comme une énième blague de la part du géant japonais qui est même allé jusqu’à confier son développement à Acquire, pas vraiment coutumier du jRPG à l’ancienne puisqu’on le retrouve ces dernières années à la réalisation d’action-aventure pour weebos. Une demi-douzaine de Nintendo Direct et deux démos plus tard, le jeu a fini par nous intriguer assez pour qu’on se décide à le tester. Et on a bien fait.

Ce qui nous a d’abord surpris, c’est le parti pris du jeu qui rompt les liens avec les lois du jeu de rôle à la japonaise. Fini la grande aventure, place à 8 histoires différentes qui n’ont pas grand-chose à voir entre elles si ce n’est de se dérouler sur le même continent imaginaire d’Orsterra. Subdivisé en 4 chapitres, chacun des scénarios suit les mésaventures d’un héros représentant une des classes du jeu : voleur, apothicaire, érudit, danseuse, etc. Ici pas de surprise, le jeu hommage ne cache pas le peu d’ambition de sa narration, on est plus face à une compilation de 30 ans de culture nippone qu’autre chose : du héros Olberic devenu justicier solitaire au voleur Therion qui se retrouve obligé de voler pour un autre en passant par la prêtresse qui part en pèlerinage où la marchande qui s’affranchit du magasin familial pour parcourir le monde, vous avez déjà lu, vu ou entendu chacune des histoires d’Octopath Traveler dans un jeu vidéo, un manga ou un anime. Des chroniques désespérément trop classiques, mais la mise en scène sauve in extremis l’ensemble.

Acquire se donne en effet un mal fou pour nous le faire aimer, son aventure, à grand renfort de doublages japonais d’excellente facture, de bande originale dramatique, nous y reviendront, et de traduction soignée (Nintendo Seal of Quality oblige). Mais là où ça ne passe pas, c’est qu’on se rend vite compte des limites de leur système de jeu. Les histoires sont pensées pour être vécues par un seul personnage. Lorsqu’on se retrouve au bout de quelques heures de jeu avec un groupe de quatre bonshommes et que le jeu fait l’impasse sur les petits copains dans les cinématiques, ça fait tache. On a la désagréable impression de vivre un conte en solo agrémenté de combats et déplacements en groupe. Cette étanchéité des scénarios rend difficile l’implication du joueur dans l’histoire, ce qui est bien la base d’un RPG moderne. Alors oui, il y a bien à de rares occasions des possibilités de faire dialoguer deux héros en ville, mais ces phases pré-écrites sont parfaitement inutiles.

On en vient au plus gros problème du jeu, il manque un Kefka dans cet Octopath Traveler. Certes, l’end-game propose un donjon final à la Chrono Trigger et un « last boss » gigantesque, mais il n’y est pas vraiment fait allusion durant les 80 heures de jeu, c’est juste une quête secondaire de plus qui se débloque bêtement une fois tout le contenu liquidé par le joueur. On aurait tellement aimé voir un grand méchant émerger au fil de tous ces petits feuilletons, ce qui aurait pu fédérer les personnages autour d’une quête unique plutôt que du maigre lot de quêtes secondaires, mais toutefois intéressantes que propose le titre. Enfin, ne nous méprenons pas, s’il s’agit là de regrets concernant la structure narrative, Octopath brille tout de même par un système de combat et de jobs finement ciselé. Choix staffing évident de la part de Square, c’est le duo Asano/Takahashi qui s’est chargé de la production du jeu. On les avait déjà vus à l’oeuvre sur Bravely Default et un système de combat dont s’inspire, tiens donc comme c’est étrange, Octopath Traveler.

On y retrouve donc le système de jeu au tour par tour basé sur les points de bravoure, ici renommés points d’exaltation (PEs) et une évolution des points de sommeil de Bravely Default. Chaque personne commence son tour avec un PE et gagne un point supplémentaire s’il ne le consomme pas. Chaque point utilisé permet de taper puissamment une fois supplémentaire par tour. Les ennemis ont eux des faiblesses liées à un type d’équipement ou un sort. Il faut utiliser ces faiblesses pour casser leurs boucliers et les assommer pendant un tour. C’est à ce moment-là qu’il est préférable d’utiliser tous ses PEs pour enchaîner les coups puissants et mettre à terre les plus gros boss. Le jeu demande donc continuellement de jouer avec les faiblesses et les coups « sauvegardés », un système honnête et simplifié à l’extrême, mais qui va nécessiter de grinder surtout en début de partie pour monter ses niveaux. Surtout que certains ennemis et boss vont être longs, très longs à tuer, embarquant plusieurs dizaines de milliers de PVs.

Le grind devient donc vite obligatoire dès lors que l’on s’aventure hors des sentiers balisés par les chapitres de chaque histoire et leur level-cap. Une épreuve qui peut être fastidieuse, surtout en début de partie si l’on ne choisit pas de personnage très résistant. On conseillera d’aller rapidement chercher Ophilia, la prêtresse et ses poches pleines de PTs (les points de magie), permettant de lancer des sorts de soin à tout le groupe n’importe quand sans tomber en rade. Autre caractéristique du jeu plutôt bien vue, la progression par les aptitudes et l’équipement. L’XP gagné en combat permet de déverrouiller de nouvelles aptitudes de combat toujours plus dévastatrices ou utiles liées à l’équipement du héros ou à sa nature. La puissance globale est capée à l’équipement porté. Ainsi, les joueurs les plus riches iront plus rapidement au bout du jeu, se payant des armes et armures toujours plus efficaces, mais extrêmement chères. Enfin, chaque personnage possède un job intrinsèque : voler pour chaparder les PNJs, guider pour emmener au combat avec nous un PNJ, etc.

Plus que des gimmicks, ces métiers ont une réelle influence sur la progression, surtout lorsqu’on a fait de mauvais choix de groupe en début de partie. Ajoutez à cela 4 classes secrètes à aller chercher dans des temples cachés sur la map et vous obtenez un système de jeu équilibré. Malheureusement, on ne fait que trop rapidement le tour de toute la panoplie de stratégies offertes par un système de jeu volontairement raboté pour offrir des sessions raccourcies en mode nomade. Une dizaine d’heures suffit à prendre la mesure de ce qui va nous attendre pendant les 70 autres : de la balade, des combats avec microgestion et une petite heure et demie de scénario de temps à autre avec un gros sac à PVs en guise de boss. Autre artifice pour gagner en durée de vie : ces persos en sommeil hors de notre groupe qui ne gagnent pas un gramme d’XP comme dans Battle Chasers: Nightwar, pénible. Il faudra donc composer avec ça et se satisfaire de ce « minimum » imposé par Acquire.

Si on passe outre ces limitations, Octopath Traveler présente donc des mécaniques imbriquées très agréables à prendre en main. Du côté de la technique, le jeu est desservi par un moteur maison 2D-HD sous Unreal Engine 4 pour le coup assez inégal. D’un côté le mélange pixel-art soigné et paysages en voxels offre certaines séquences vraiment splendides. Hélas, un DOF prononcé et certains post-FX de mauvais goût rendent l’ensemble assez flou dès qu’on y regarde de plus près. Par contre les artworks de bestiaire en combat sont de toute beauté, s’inspirant ici aussi du prince des jRPGs, Final Fantasy VI avec des monstres en postures de combat baroques assez fantastiques. La bande originale orchestrale de Yasunori Nishiki prend elle aussi ses racines dans la dramaturgie FFesque avec des envolées sublimes qu’on n’avait pas entendues depuis l’ère Super Nintendo, du grand art qu’on espère voire réédité rapidement à côté.

Bon

Les intentions du studio étaient louables certes, mais Octopath Traveler est hélas plombé par des ambitions à la hauteur des productions Acquire.., On est devant un jeu taillé pour les quarantenaires qui ont appris l'anglais à l'aide d'une cartouche Final Fantasy VI et d'un adaptateur AD-29. Un peu comme un album de reprises d'un artiste fraîchement décédé, c'est lisse, plein de bons sentiments, ça ne prend pas d'initiatives, mais le fan y trouvera l'hommage attendu. Au-delà de son découpage scénaristique qui manque cruellement de liant, le premier gros jRPG de la Switch embarque une plastique originale, une bande-son absolument somptueuse et un système de jeu épuré pour le meilleur, souvent malin, peut-être moins profond que ce qui se faisait il y a 20 ans, mais qui saura captiver le joueur pendant plusieurs dizaines d'heures et lui faire oublier la trop grande répétitivité de son aventure.

Jeu testé sur Switch à partir d’une version fournie par l'éditeur. Plus d’informations sur notre politique de tests en suivant ce lien.

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