Une machine est-elle capable de penser ? Voilà la question existentielle à laquelle a tenté de répondre le mathématicien Alan Turing en 1950. Pour cela, ce génie qui a notamment contribué à décrypter les transmissions codées par la machine Enigma pendant la Seconde Guerre mondiale à établi un protocole de test simple. Il consiste à confronter un humain à un autre humain et un ordinateur dans une conversation textuelle. Si l’humain qui a engagé la discussion n’arrive pas à déceler qui est l’ordinateur, alors on considère que l’intelligence artificielle a passé le test avec succès. Turing bouleverse ainsi la pensée scientifique de son temps en proposant une nouvelle vision de l’âme, de la conscience, de la capacité à prendre des initiatives des machines.
Bien des décennies plus tard, les travaux de Turing et d’autres expérimentations scientifiques comme La Chambre Chinoise de John Searle servent de matière au nouveau jeu de Bulkhead Interactive. C’est désormais une habitude pour le studio anglais d’explorer les questionnements qui bouillonnent au plus profond de l’être humain. Avec Pneuma: Breath of Life, ils avaient tenté début 2015 de répondre à l’interrogation éternelle : la vie à l’aide d’un puzzle-FPS librement inspiré de Myst. Cette année, on change de décor. Direction Europa, le satellite de Jupiter pour un huis clos futuriste mâtiné de puzzles qu’on pourrait qualifier de rencontre du troisième type entre Portal et 2001 L’Odyssée de l’Espace. Un programme ma foi fort alléchant !
2450, orbite d’Europa, à 588 millions de kilomètres de la Terre. Ava Turing se réveille brutalement de sa cryostase. Elle est alertée par T.O.M, l’intelligence artificielle de la station que l’Agence Spatiale Internationale (ISA) est sans nouvelle de l’équipe au sol depuis plus de 400 heures. La jeune scientifique a donc été réveillée pour investiguer la surface de la lune et faire son rapport à l’ISA au plus vite. Après un prologue rapide à bord de la station, nous embarquons dans une capsule projetée à toute vitesse dans l’atmosphère d’Europa et nous pénétrons bientôt dans la base qui s’enfonce au coeur même du coeur gelé du satellite de glace de Jupiter. Le jeu nous propulse ainsi directement dans une ambiance intrigante et ce n’est pas pour nous déplaire.
Une fois sur place, T.O.M nous explique que l’équipe au sol s’est terrée pour une raison inconnue dans les profondeurs de la base et à piégé les différentes galeries de la base. Par chance, vous avez avec vous votre EMP (Energy Manipulation Tool), un outil permettant de transférer la cellule d’énergie d’un objet à un autre. C’est équipé de ce portal-gun maison et de la force de vos bras que vous allez devoir résoudre des énigmes pour avancer de pièce en pièce dans la structure de l’ISA. The Turing Test est avant tout un jeu narratif et pour s’assurer que vous ne perdiez pas le fil de l’aventure, le studio a intégré des mécaniques de puzzles simplifiées. Le nombre d’actions est ainsi réduit : vous pouvez attraper des cellules d’énergie à l’aide de l’EMP, les transférer dans un objet, mais également attraper des blocs d’énergie et les placer dans des réceptacles pour alimenter un circuit et ouvrir des portes.
A cela s’ajoutent quelques petites subtilités qui viendront pimenter les énigmes au fur et à mesure, des aiguillages de circuits d’énergie, des machines à activer pour déplacer des plateformes, la possibilité de stocker les cellules d’énergie les unes sur les autres dans l’EMP et la découverte de particules d’énergie qui fonctionnent par intermittence. Enfin et surtout, le jeu introduit une nouvelle mécanique de gameplay au deuxième gros tiers de la partie : T.O.M vous vendra en effet en aide et vous autorisera à contrôler ses caméras et ses robots. S’en suivront sans trop de surprise des énigmes où il faudra jongler entre les machines de T.O.M et l’agilité d’Ava, en plus d’avoir à manipuler l’énergie sous toutes ses formes pour avancer.
Que les allergiques au genre se rassurent tout de suite, on ne reste jamais bloqué bien longtemps, la plupart des puzzles étant des grands classiques du genre des puzzles logiques. En fait, le jeu vous prend même relativement par la main en répétant un pattern simple sur chaque acte : quatre premiers niveaux qui introduisent une particularité de gameplay et six autres niveaux qui vous font mettre en pratique ce que vous avez appris. Finalement, ce déroulement enfantin est juste un prétexte pour vous faire arpenter la base à la recherche de vos collègues tout en discutant avec un T.O.M assez curieux, voire oppressant. Car c’est là le but du test de Turing de Bulkhead Interactive, vous faire dialoguer avec une intelligence artificielle.
Et pour éviter que vous ne ressentiez trop l’impression d’être un rat de laboratoire, le studio a ficelé le test dans un scénario digne de la légende cinématographique de Kubrick. T.O.M reste assez évasif sur le pourquoi du comment de votre mission et vous découvrirez bientôt lors du passage dans les quartiers d’habitation de la base qu’il vous cache bien des secrets. Mais c’est surtout lorsque vous arriverez au bout des salles bonus (entre les actes) que vous débloquerez des logs audio indispensables à la compréhension d’une histoire très bien écrite. On regrette cependant que le cliffhanger hélas trop prévisible n’arrive que trop vite. Malgré cette déconvenue, on dévore une histoire qui fait appel à des notions passionnantes comme la conscience, la morale humaine et encore une fois la vie.
Techniquement, l’Unreal Engine 4 fait son job en éclairant avec classe l’architecture spatialement sobre et sublime des pièces du jeu. Hui, clos aseptisé oblige, le jeu ne s’embête pas de fioritures et c’est tant mieux, que ce soit pour la lecture visuelle des puzzles ou pour renforcer une ambiance étrange et oppressante. Par contre mis à part des jeux de couleur, les textures ont tendance à se retrouver d’une pièce à l’autre. La relativement courte durée de vie du titre (comptez six heures pour en faire le tour sans vous presser) à au moins le mérite d’éviter l’ennui que cette répétition pourrait générer chez le joueur à la recherche de renouvellement. Enfin on apprécie la bande originale planante de Sam Houghton qui colle parfaitement au jeu.
Bulkhead Interactive passe sans grandes difficultés notre test à nous en offrant un titre court, mais efficace à qui recherche une expérience narrative qui fait réfléchir avant tout. Les amateurs de puzzles resteront eux sur leur faim, ceux de The Turing Test n'étant qu'un prétexte sans grand challenge pour vous faire avancer dans l'histoire. On aurait évidemment souhaité être surpris par un scénario qui dévoile ses cartes beaucoup trop tôt dans l'aventure. Toutefois l'ensemble reste cohérent de bout en bout et est particulièrement bien réalisé, techniquement parlant. Finalement, le jeu du studio britannique reste dans la droite lignée de ce qu'ils ont fait avec Pneuma: Breath of Life, une porte ouverte sur la réflexion sur des thèmes adultes et profondément humains.
Jeu testé sur Xbox One à partir d’une version fournie par le développeur. Plus d’informations sur notre politique de tests en suivant ce lien.
