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Test : Unforeseen Incidents

Début 2011, clap de fin pour la série Lost en Allemagne et grande désillusion pour Marcus Bäumer, game designer, scénariste et psychologue médias à ses heures perdues. Frustré par un final beaucoup trop ouvert (NDLR: comme nous tous hein, faut pas se mentir) il se fait la promesse d’écrire une histoire pleine de mystères qui seraient tous résolus avant que ne défilent les crédits. C’est ce soir-là qu’il mettra en projet ce qui allait devenir bien des années plus tard Unforeseen Incidents, le point & click de Backwoods Entertainment. Il lui faudra encore 5 ans pour en écrire l’histoire et 2 années de productions en compagnie de ses collègues. Le jeu est maintenant disponible sur PC et on ne pouvait passer à côté, tant il s’annonce comme un vibrant hommage aux jeux d’aventure de notre enfance, ceux où on changeait de disquette en cours de « cinématique », d’ailleurs on a une pensée émue pour Flight of the Amazon Queen à l’instant même… Bref, cessons ici cette mièvrerie et attaquons ce test avant d’avoir la larmichette à l’oeil.

En cette fin d’été étouffante, un mystérieux virus se propage dans le comté de Yelltown. Les habitants parlent d’une fièvre qui tue et même si les autorités insistent pour dire que tout est sous-contrôle, le public est tout de même inquiet de voir débarquer des camions entiers d’hommes en tenue hazmat dans les campagnes environnantes. C’est dans ce contexte à la X-Files que démarre l’aventure de Unforeseen Incidents. On y joue Harper Pendrell, un bricoleur ayant un penchant pour l’électronique qui vit de petits boulots dans sa ville natale. Un matin, en sortant de chez lui pour aller dépanner le PC d’un ami, il tombe nez à nez avec une jeune femme à l’article de la mort qui lui confie une lettre à remettre en main propre à un journaliste enquêtant sur la fièvre. Voilà comment démarre une aventure qui va le mener de rebondissement en rebondissement jusqu’au démantèlement d’une secte fanatique. C’est un fait : les bons point & click mettent toujours en scène un personnage dépassé par des événements incontrôlables (Discworld, Monkey Island, Deponia) et le premier projet de Backwood en est un parfait exemple.

Dans une Amérique désenchantée où la classe moyenne regarde religieusement le grand match de football américain de l’année dans une chaise longue de jardin plantée au milieu d’un rade miteux, où les élèves d’universités se reconvertissent en arnaqueurs à la petite semaine et où tout se vend et s’achète, surtout les magouilles, les protagonistes de Unforeseen Incidents évoluent comme des poissons dans l’eau. De la petite blogueuse freelance qui rêve de décrocher un scoop au gros bonnet impitoyable aux services d’un culte cabalistique, chacun aspire à profiter d’une manière ou d’une autre de cette situation extraordinaire. Seul Pendrell est l’archétype du loser adorable. Pas vraiment futé, il le reconnait lui-même un peu trop naïf, mais parfaitement honnête, c’est le héros idéal pour dérouler ce genre d’histoire. Il en résulte une écriture vive et mature ou s’entrechoquent culture et opinions des uns et des autres. Cela permet au scénariste d’inclure au bon moment des tirades bien senties sur la pop culture et pourquoi pas de juger gratuitement le comportement parfois douteux de nos interlocuteurs.

Unforeseen Incidents c’est surtout un point & click et ici le jeu fait le choix de la mixité entre système de jeu très traditionnel largement inspiré du SCUMM de LucasArts et mécaniques audacieuses. Ainsi, on retrouvera avec grand plaisir l’inventaire qui s’efface tout seul, le double-clic pour avancer plus rapidement de scène en scène et le clic pour faire passer plus rapidement des dialogues. Côté énigmes, le jeu sait jouer des classiques (conversations à embranchements, puzzles simples, utiliser tel objet sur tel élément de décor), mais c’est surtout lorsqu’il tente de s’affranchir de ses pères qu’il démontre tout le savoir-faire de ses développeurs. On pourrait citer pêle-mêle les énigmes qui demandent de lire un manuel pour trouver la solution (comment faire du feu, comment développer des photographies) ou encore les manipulations d’ordinateurs à l’ancienne en fouillant dans les dossiers en mode texte. On ne mentira pas en disant avoir été bloqués sur quelques casse-têtes un peu tordus, mais dans l’ensemble on est loin du « utiliser chaussette sur missile thermonucléaire ».

Qui plus est, les gentils développeurs ont ajouté un mode « galère » pour ceux qui seraient coincés et d’une pression sur la barre Espace, on fait apparaître toutes les zones cliquables sur l’écran, ce qui facilite grandement la tâche à certains moments. Petit regret toutefois : si Harper possède un couteau suisse multifonctions, on se retrouve 95% du temps à utiliser le tourne-vis ou la pince, quel dommage de ne pas avoir poussé le délire plus loin… Bon par contre rien a redire sur le look du jeu qui lui est splendide et fait penser à des comics ou certaines couvertures de BD françaises (Spirou & Fantasio si tu nous entends). L’artiste sait mettre bien en valeur chaque plan et travaille la lumière de la plus belle des manières, ce qui fait qu’on peut rester longtemps à observer un immeuble, juste parce qu’il est beau. Les personnages profitent du même rendu graphique, mais leurs animations sont parfois un peu hachées à la serpe, ce qui donne quelques situations ridicules où les héros semblent marcher avec les lacets attachés entre eux.

Certains gros plans lors des discussions mettent également en lumière la faible résolution de certains assets. Autre épine dans le pied, une fuite mémoire qui peut arriver au bout d’un certain nombre d’heures de jeu. Enfin, c’est un détail mais attention à vos sauvegardes, le jeu ne supporte pas Steam Cloud. Rien de catastrophique, on s’en accommode facilement et on oublie rapidement ces petits désagréments en écoutant les excellents doublages du jeu. Le nom de Matthew Curtis ne vous dit peut-être rien, mais c’est une voix que vous connaissez puisqu’il est familier des voix graves dans les trailers US de jeux vidéo (dernièrement entendu dans Detective Pikachu, Ancestors Legacy, Skyforge). Il a également prêté sa voix au regretté Heroes of Newerth et on a donc grand plaisir à le retrouver ici dans la peau de Harper : il est juste dans n’importe quelle situation, c’est du coup un régal d’écouter chaque dialogue. Du côté de la bande-son, on découvre les créations de Tristan Berger, l’un des trois fondateurs du studio qui fait dans le minimalisme, des ensembles principalement mélancoliques à la Twin Peaks qui collent parfaitement à l’ambiance générale qui se dégage du jeu.

Bon

Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas accroché à un point & click comme ce fut le cas pour Unforeseen Incidents. Je l'expliquais plus haut, il y a certains codes à respecter pour réaliser un bon jeu d'aventure et Backwoods Entertainment fait plus que de l'hommage appuyé, ils rebondissent sur un style longtemps réinventé dans les années 80, osant là où il faut quelques touches de modernité tout en conservant ce qui se fait de mieux : des personnages forts, un héros stupide, des dialogues matures et il faut bien l'avouer très drôle, quelques énigmes qui sortent du lot et une patte graphique originale qui donne du pep's, un titre qui se laisse savourer en une durée de vie tout à fait convenable, un peu moins d'une dizaine d'heures à condition de passer outre ses légers soucis techniques. Bref, un bon premier jeu pour un studio qu'on ne manquera pas de suivre à l'avenir.

Jeu testé sur PC à partir d’une version fournie par l'éditeur. Plus d’informations sur notre politique de tests en suivant ce lien.

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